"La guerre 14-18 a fait les hommes que nous sommes"
En résidence au théâtre de l’Archipel, le chorégraphe Didier Théron nous présente « 14 » qui sera joué les 6 et 7 novembre à Perpignan.
Pourquoi avez-vous souhaité créer ce spectacle intitulé « 14 » en cette période de commémoration du centenaire de la Grande guerre ?
Je voulais partir de choses très personnelles puisque mon arrière-grand-père, 2e classe d’infanterie, est mort en 1915. J’avais donc envie de travailler sur cette guerre injuste et cruelle. Un massacre organisé avec une industrie lourde face à des hommes pas du tout préparés. C’était le cas de mon arrière-grand-père, paysan de l’Aveyron, pas prêt à affronter cette guerre de la démesure mais qui faisait partie d’une génération où on ne pouvait imaginer désobéir à la nation, même si elle nous conduisait à la mort.
En travaillant sur le sujet, je me suis alors rendu compte que la guerre de 14 est le commencement de l’histoire moderne de l’Europe.
Cependant « 14 » n’est pas que l’histoire de la guerre dans les tranchées ?
Non je ne voulais pas tellement me pencher sur l’histoire de cette guerre mais plutôt sur ce qu’elle a laissé comme traces. Je reste persuadé que trois, quatre générations plus tard, elle a fait les hommes que nous sommes. J’ai voulu évoquer l’après-guerre et comment ce suicide organisé a bouleversé les familles et des villages entiers. Autant d’histoires avec un petit h mais qui sont notre Histoire commune.
On a beaucoup écrit, fait des films sur 14-18 mais rarement créé des chorégraphes ?
Oui et pourtant je pense que la danse est le meilleur instrument pour raconter cette torture et ce sacrifice des corps. Ici pendant quatre-vingt-dix minutes, sans entracte, et avec neuf danseurs, on montre comment ces corps de soldats vont être torturés. Ceux aussi des civils qui, s’ils n’avaient pas le droit aux tranchées, ont été touchés par la perte d’un père, d’un frère, d’un fils ou d’un mari. La pièce porte ces émotions transcrites dans les pas des danseurs. On est donc dans une approche très percutante, prégnante. C’est un travail mémorial, sensible sur la démesure.
Parmi les neuf danseurs, l’un, Thomas Guggi, est allemand. C’était important pour vous d’intégrer cela dans la pièce ?
Oui pour la danse, c’était très important de pouvoir travailler sur ce duo, franco-allemand. Il y a donc un grand travail de techniques afin que les danseurs offrent au public cette charge émotionnelle et que cela soit encore plus fort que des images d’archives.
Comment se sont faits vos choix en termes de musique ?
J’ai imaginé le projet 14 comme un immense chant dansé. Du murmure au cri, du râle au chant partagé partout. On a donc fait un travail d’archives pour retrouver des documents sonores de cette période. Le bruit du tocsin qui annonce le 1er août 1914 la mobilisation générale, le son des trains remplis de militaires, le bruit de la bicyclette ou encore de la Marseillaise et de la sonnerie aux Morts.
Cette pièce a été créée en partie lors de votre résidence au théâtre de l’Archipel, coproducteur du spectacle.
Oui c’était pour moi très important que cela voit le jour en province. Encore mieux ici en Languedoc-Roussillon car je sui originaire de Béziers et ma compagnie réside à Montpellier. Cette guerre a durablement marqué notre région, nos villages, nos familles.
Que vous inspirent ces commémorations de la grande guerre ?
Je suis très content d’avoir pu porter ma pierre à l’édifice. Ce que je remarque, c’est l’engouement sans précédent que cela déclenche alors que pendant trop longtemps, on a enfoui les souvenirs de cette guerre.
Vous avez souhaité mettre des éléments de modernité dans votre spectacles. Une manière d’évoquer les conflits militaires actuels?
Oui je souhaitais que ce spectacle entre en résonance aussi avec ce qui se passe aujourd’hui notamment en Syrie. On n’est pas dans une même guerre mais on retrouve ces familles qui voient partir leurs enfants dans un conflit éloigné.
Recueillis par Julien Marion